Les robots seront bientôt dans nos lits
Le sexe dirige le monde, selon Sigmund Freud. La question fait sourire, puis réfléchir. Coucher avec des robots ? Et pourquoi pas ? Une vraie question éthique, dérangeante et réelle. Ça me changera un moment des pseudo-débats autour de l'IA.
Go coucher avec des bots ?
Disons le tout de go : bof.
Un papier récent imagine le célèbre Quartier Rouge d’Amsterdam peuplé de robots-prostitué(e)s dès 2050. Esclavagisme, consentement, maladies, tromperies, culpabilité, mal-être : ces problèmes bien connus passeraient à la trappe, selon ces auteurs.
« In a liminal paradigm in which we are cyborg creatures, intimately linked with technology on a daily basis it is likely that sexual pleasure and sexual healing will become integral to our leisure experience. Robot sex is safer sex, free from the constraints, precautions and uncertainties of the real deal. » Yeoman et al (Futures, 2012)
On peut déjà acheter des robots classiques ou sexuels. C’est la réalité du marché, début 2021. Le veuille ou non, le sexe artificiel tarifé existe, c’est un fait.
Coucher avec des robots, ça dérange qui, au final ?
Eh bien, en tant qu'êtres humains socialisés, ça nous dérange tout de même un peu. D’où parlons-nous ? Nous sommes citoyens, acteurs de la recherche scientifique et aujourd’hui techniciens des données.
Ces sujets sont glissants, tendus et périlleux. Et tout à fait en dehors de nos compétences techniques, en fait. La prudence nous conseillerait de ne pas les aborder. Mais nous ne sommes pas prudents.
Parlons du réel. A l’heure actuelle, personne ne sait créer de robots dont les capacités cognitives approchent celles des humains. Les spécialistes nous excuseront peut-être d’y inclure gaiement émotions et sentiments. Vous ne battrez plus un processeur aux échecs ou au go, mais il tirera toujours une affreuse gueule d’enterrement. A moins qu’il ne soit programmé pour paraître béatement heureux, joyeux ou compréhensif. La situation n’est pas meilleure pour le langage : les algorithmes savent à peu près donner le change dans une conversation basique, courte mais derrière l’écran de fumée, c’est le vide conceptuel. Ils ne comprennent rien.
Raisonnement, langage, émotions relèvent globalement de ce qu’on appelle la conscience, sorte de fourre-tout aux frontières mal définies. Les ingénieurs n’ont pas encore le moindre début d’idée pratique sur la façon de faire émerger ce genre de fonctions dans un labyrinthe de circuits électriques.
Mais pourtant, l'apprentissage automatique ça roxxe
Dans certains cas, oui. Même l’apprentissage par renforcement. Même < insérer ici la dernière techno californienne qui buzze > ? Nous n’y voyons que des façons plus compliquées de faire la même chose. Les spécialistes objecteront que nous sommes de mauvaise foi. Je leur rétorquerai que peut-être, certes, c'est entendu. Et cependant, en comparaison avec le grand nombre de facheux qui exagèrent tout à fait la moindre micro-avancée du deep learning, je préfère être catégorique.
Cette méthode de programmation est intéressante et permet de déplacer une partie de la description du problème à traiter dans une base de connaissances externe. C’est utile dans certains cas précis, avec un gain en temps ou en complexité intéressant. Mais ces méthodes d’apprentissage impliquent de placer un grand nombre de garde-fous, et de suivre la machine de près.
Mettre un grille-pain dans son lit, est-ce l'idée du siècle ?
Il faut demander à Axa
.
Les robots restent des grille-pains améliorés qui ne comprennent rien, ne pensent rien, ne ressentent rien. Ce qui est nouveau depuis le début du siècle, c’est qu’ils savent faire semblant. Leurs concepteurs savent créer les conditions pour l’établissement d’une fausse relation avec les humains, creuse, forcément, et à sens unique. Le robot n’investira donc aucunement la relation, comme le ferait un humain. Il suivra le programme écrit, en respectant scrupuleusement les degrés de liberté qui lui auront été alloués. Rien n’arrivera dans un processeur qui ne sera pas, en définitive, contraint, encadré, prévu, anticipé et vérifié. Cette réalité doit être rappelée.
Quelle est la barrière technologique qui nous empêche de créer des robots grille-pains spécialisés dans une partie de sexe simulée ? Nous n’en voyons aucune, pour peu qu’on se satisfasse d’une forme de relation à sens unique. L’homme est libre de sur-investir la relation, au point de se leurrer. Et même d’y croire, s’il le souhaite. On prête bien des émotions à des chats, qui sont d’infâmes créatures froides, mono-maniaques et égocentrées.
Qu'en aurait dit le marquis de Sade ?
Il n’aurait sûrement pas été d’accord avec nous.
Son inclinaison à indiquer le sud nous rassure. Il aurait probablement trouvé un moyen d’utiliser des robots pour violenter des humains. Son imagination n’avait pas vraiment de limite dans l’immonde. Je ne comprends pas la fascination qu'il exerce. Peut-être parce que j'ai lu ses bouquins et que je ne goute que peu l'infamie, même littéraire.
Au fait, au fait : coucher avec des bots, oui ou non ?
Tu fais ce que tu veux, camarade,
A nos yeux, la barrière devrait au moins être sociétale et éthique. Sociétale, car la société doit décider de l’utilisation, ou non, de ces machines sexuelles : il vaut certes mieux violenter des machines que des humains, mais il vaut peut-être mieux apprendre à canaliser sa violence. Éthique, car les concepteurs de ces machines auraient pu décider de ne pas les concevoir. On retombe sur de vieux débats classiques. Responsabilité personnelle, sociale et sociétale.
Les robots seront bientôt dans des lits
Dans certains lits, pour sur.
Et des humains les y auront invité.
Pourquoi ?
Parce que la nature a horreur du vide. Parce qu’une bande de gens auront trouvé malin de nous vendre (cher?) un sex-toy sur mesure qui aura été conçu et programmé pour nous faire plaisir. Parce que la misère sexuelle est une réalité, et que ces robots rempliront une fonction sociale. Parce que certains aimeront ça, tout simplement.
Remplaceront-ils les smartphones ?