Un glossaire : l'intelligence artificielle
En ces temps de bulle, un glossaire est absolument nécessaire. Dans le but d'éviter tant que faire se peut de raconter n'importe quoi, on vous parle ici d'intelligence artificielle.
« Artificial intelligence is the science of making machines do things that would require intelligence if done by men. » Marvin Minksy
Il n'y a pas de définition simple de l’intelligence artificielle
Ca commence bien, je vous entends déjà râler. L'intelligence artificielle est un domaine de recherche et d'ingénierie, qu'on peut rattacher aux sciences cognitives pour sa partie scientifique. Elle s'occupe de décrire, de comprendre et de reproduire des processus physiques ou biologiques qui ont l'air de faire appel à une forme d'intelligence. On pourrait dire l'IA s'occupe de penser et construire des machines qui réalisent des choses qui, si elles étaient faites par un humain, nécessiteraient de l'intelligence si on s'accordait sur une définition très large du terme machine.
Le cerveau humain et animal est une des grandes sources d’inspiration de l'IA : comprendre, au-delà de la biologie, son fonctionnement. Comment marche un esprit ? Comment modéliser les pensées et les raisonnement ? Comment les reproduire dans un cerveau électronique ou une machine ? Et pratiquement : comment faire penser ou réfléchir un ordinateur ? Comment rendre les programmes intelligents, donc capable de s'adapter ? Comment faire marcher un robot de façon autonome ? Peut-on communiquer avec une machine ?
Si l’homme s’est inspiré du vol de l’oiseau, les avions ne battent pas pour autant des ailes.
Il y a deux types d’intelligences artificielles : la forte et la faible. L’IA forte vise à créer une IA consciente, dont les capacités sont au moins égales à celles de l’être humain, capable d’improviser, de s’adapter et d’avoir une certaine autonomie fonctionnelle ; c’est un objet qu’on trouve plus régulièrement dans les livres de science-fiction que dans les articles scientifiques. L’IA faible a un but plus modeste : résoudre des problèmes efficacement, sans contrainte de généralité. L’essentiel des activités et avancées de la R&D concerne l’IA faible, qu’on pourrait limiter à l’apprentissage automatique ou machine learning, dont fait partie le deep learning. On pourrait mentionner l’IA générale ou générique, quelque part à mi-chemin entre l’IA faible de l’IA forte, qui serait une sorte de généralisation de l’IA faible, i.e. capable de résoudre n’importe quel type de problème mathématique.
L’intelligence artificielle n'est pas un domaine récent
L'IA n'est pas un domaine récent, n'en déplaise aux gens qui ont découvert qu'on pouvait faire des choses sympathiques et sexy avec des ordinateurs après la montée en force du deep learning (ou apprentissage profond, ie des réseaux de neurones multi-couches), dont nous parlerons dans un prochain billet. L'histoire de l'IA est longue, complexe, et remonte aussi loin qu'on veut la faire remonter, jusqu'aux mythes grecs (Héphaïstos, Prométhée) ; on peut y voir un des termes du concept grec de l'hybris. Proposer une histoire en quelques ligne semble impossible [0].
Ce domaine de recherche scientifique a un rapport assez spécial avec l'opinion public, avec des phases d'engouement et des phases plus sous-marines. L'IA est antérieure à l'informatique, aux ordinateurs physiques, aux langages de programmation. Ce domaine rassemble l'ensemble des sciences cognitives et inclut des concepts de biologie, d'évolution et de philosophie. L'informatique et l'ingénierie y jouent un rôle spécial, puisque ce sont à la fois des outils permettant de matérialiser et tester les théories, ainsi que des domaines sur lesquels portent l'effort de recherche.
L'intelligence artificielle ne se résume pas aux réseaux de neurones
L'IA est un domaine vaste et varié. Certains des buts de la recherche en IA sont de comprendre et reproduire le fonctionnement de l'esprit humain et de l'intelligence - voire, pour certains, la vie. On peut essayer d’organiser le domaine en cinq grandes thématiques qui ne sont pas totalement étanches et dont j’essaie de donner une description assez sommaire (et personnelle, donc perfectible) par la suite. Symbolisme et connexionisme sont souvent considérées comme les deux approches principales permettant d’adresser les problématiques de l’IA forte ; même si elles se concentrent, dans les faits et faute de mieux, sur l’IA faible. Les algorithmes évolutifs adressent principalement les problématiques de l’apprentissage automatique. Les automates cellulaires sont, à mes yeux, plus une curiosité mathématique qu’un domaine de recherche avec des applications pratiques. Enfin, la robotique s’intéresse au mouvement des machines.
L'approche symbolique décrire la logique, l'intelligence et la mémoire, organise le tout et met tout ça dans un programme. Le symbolisme s'intéresse ainsoi à la modélisation du fonctionnement général de l’esprit et de l’intelligence, par l'étude du raisonnement logique et la représentation ainsi que la manipulation symbolique de la connaissance. C'est une approche dite premiers principes, et l'approche historique et classique, celle des ordinateurs classiques comme HOLMES IV
, HAL 9000
ou Skynet
. On l'appelle souvent GOFAI
pour good old-fashioned AI, la bonne vieille IA. La base.
L'appoche connexionisme est l'approche concurrente au symbolisme, presque aussi vieille. Le connexionisme part du principe que l'intelligence peut être vue comme une fonction globale émergente d’un agencement de mécanismes élémentaires et simples. L'idée est de reproduire des fonctionnements similaires à ceux du cerveau, en partant du principe que si un neurone a des fonctionnalités limitées, un réseau (de réseaux) de neurones est capable de fonctions plus complexes.
L'approche par algorithmes évolutifs consiste à tirer parti de la puissance des phénomènes évolutifs pour améliorer les performances des programmes. L'idée est de concevoir des règles d'évolution pour différentes familles d'algorithmes, en s'inspirant de l'évolution biologique. Pour un problème donné, un programme "haut niveau" va générer automatiquement des programmes de résolution, puis évaluer leurs performances et sélectionner ceux qui donnent des réponses les plus intéressantes, afin de générer, à partir de ces derniers, de nouveaux programmes. Cette thématique est en réalité une heuristique, c'est-à-dire une méthode de recherche frugale de solution. Elle pourrait être rangée dans le symbolisme ou le connexionisme.
L’espace des solutions à parcourir est souvent monstrueusement grand, si bien qu’il est impossible de le parcourir naïvement sans y passer un temps infini - littéralement, si on prend comme borne maximale l’âge de l’univers.
L'approche par automates cellulaires est différente. On construit des objets mathématiques simples, voire simpliste, qui permettent de modéliser un univers entier avec ses lois et ses acteurs. Le but est d’étudier un modèle en profondeur et d’observer des propriétés émergentes. Plus d’informations sont disponibles ici. Le jeu de la vie relève de cette approche : colorier sur une grille des cases en noir et blanc en fonction de l'état de ses voisines permet de modéliser des phénomènes physiques réels. C'est assez fou.
Enfin, la robotique est un domaine très vaste, multi-physiques et mathématique, qui vise à trouver des moyens pour, par exemple, faire marcher, courir, sauter un robot. La robotique nécessite un traitement de la vision performant ainsi que des résultats issus de l’étude des systèmes dynamiques. Nous citons au passage les travaux de la dernière médaille Fields franco-bresilienne, qui évolue dans un domaine connexe. Robocop
ou le T1000
ne sont pas encore pour aujourd'hui, mais Boston Dynamics réalise des robots aux comportements impressionnants.
L'intelligence artificielle a une histoire complexe
L'IA est, donc, beaucoup plus vaste que ce qu’on entend habituellement, et ne se résume pas aux réseaux de neurones, représentants en chef de l’approche connexioniste ; au traitement de grosses bases de données ; aux chatbots ou agents conversationnels ; et plus généralement, à tout ce qui a trait à l'apprentissage automatique.
L'IA est un domaine qui a plus de 70 ans, avec une histoire très riche et un fonctionnement cyclique fait d'alternance de bulles médiatiques (~80s, >2015) et d'hivers (70s, 90s), causés par de bonnes ou mauvaises raisons. Si nous avons le courage, nous essayerons d’en faire un historique dans un prochain billet. La question actuelle n'est pas de savoir, comme on pourrait le croire, si l'IA sauvera le monde, cannibalisera toute forme d'innovation et guidera la croissance. Mais plutôt de savoir quels seront les usages réels, indiscutables et pertinents qui en découleront et sur lesquels nous pourrons compter pour progresser vers la compréhension et la reproduction de l'intelligence. Quant à la bulle d’intérêt que nous traversons, elle cessera bien un jour.