L’intelligence artificielle n’existe (toujours) pas

L’IA est triple. C'est un mythe, un domaine de recherche scientifique et un ensemble de technologies relevant de l’informatique. Ces trois lectures se télescopent et provoquent de la confusion même chez les experts.

L’IA est un mythe

Notre imaginaire est peuplé de machines pensantes et indépendantes. Sans remonter aux golems ou au monstre de Frankenstein, nous avons tous des références comme HAL de 2001 l’odyssée de l’espace (1968), Terminator (1984), Matrix (1999) ou plus récemment Her (2013) ou Ex- Machina (2014). Citons Isaac Asimov et William Gibson pour donner deux références du très vaste champ de la science-fiction en littérature. Qui peut faire l’économie de cet héritage culturel ? Cet imaginaire est omniprésent, de manière consciente ou non. Nous avons grandi avec ces exemples de robots super-intelligents, souvent néfastes, parfois amicaux, rarement indifférents. Cet héritage culturel est la source des fantasmes actuels.

Nous vivons dans une bulle de l’intelligence artificielle depuis 2016, portée par les IA spécialisées. Les BigTechs en sont les principaux acteurs et bénéficiaires.

L’IA est un domaine de recherche scientifique

Les chercheurs travaillent à capturer l’intelligence mise en œuvre dans la résolution de problèmes variés pour la programmer dans le silicium des processeurs. Ils progressent avec difficulté et patience depuis les années 1950. D’énormes progrès ont été réalisés en logique, en algorithmique, en traitement de l’information et en optimisation numérique, sans oublier la robotique et l’ensemble des sciences cognitives. La conceptualisation et la modélisation de l’intelligence humaine restent toutefois des mystères. On ne sait pas concevoir, et encore moins implémenter, une intelligence artificielle dite générale, capable d’un niveau de performance au moins humain. Nos meilleurs programmes sont donc rapides et efficaces mais idiots.

L’IA désigne un ensemble de technologies

Les ingénieurs utilisent les méthodes pensées par les scientifiques pour construire des outils d’aide à la décision, d’exploration ou d’automatisation. L’état de l’art visible par le grand public est illustré par les agents conversationnels (ChatGPT), les systèmes génératifs (MidJourney), les joueurs d’échecs (Stockfish, DeepBlue), de go (AlphaGo) ou de jeux vidéos (Agent57) et les systèmes de recherche d’information type Google Search ou IBM Watson. Les progrès sont flagrants depuis 2010. Ces programmes tirent profit du développement d’une famille d'algorithmes d’apprentissage automatique : les réseaux de neurones. Couplés à d’énormes infrastructures de calcul, ils sont capables d’identifier des motifs statistiques dans de très grandes bases de données.

Des IA spécialisées ?

Ces programmes sont souvent appelés des IA spécialisées, par opposition à une hypothétique IA générale.

La cacophonie actuelle vient, d’une part, de la lecture mythologique qui projette machinalement des fantasmes sur le travail scientifique et technique, et d’autre part de la confusion entre IA généraliste et IA spécialisée. Le sous-texte est le suivant : puisque les programmes actuels montrent un niveau de performance élevé sur certaines tâches précises (écrire un texte, engendrer une image, optimiser un calcul), alors on peut s’attendre à voir apparaître, dans un futur proche, des programmes capables d’avoir des performances élevées sur toutes les tâches. Autrement dit : puisque nous savons concevoir de nombreuses IA spécialisées, alors nous saurons bientôt concevoir une IA forte. C’est faux. Et c’est un contresens total.

La différence entre IA généraliste et IA spécialisée est une différence de nature, rappelant la distinction de Pascal entre esprit de géométrie et esprit de finesse. C’est pourquoi nous évitons de parler d’IA forte et d’IA faible.

On ne sait pas du tout écrire un programme montrant une intelligence humaine. Même une intelligence d’insecte d’ailleurs. Les programmes actuels ne réfléchissent pas, ne conceptualisent pas, n’ont aucun sens commun et ne savent pas transposer un apprentissage ou des connaissances d’un domaine à l’autre. Enfin, il n’y a pas de théorie scientifique raisonnable, voire même de direction, qui permettrait d’avoir les idées claires sur la forme que prendrait ce type de programme.

Ainsi, le terme d’IA, même qualifiée de spécialisée, est mal choisi pour désigner les technologies actuelles. Il grossit les récits des grosses entreprises du numérique et de leurs thuriféraires, seuls à tirer profit de la bulle. Mieux vaut lui préférer le terme plus précis d’apprentissage automatique (machine learning) et réserver le terme d’IA au mythe et à la recherche.

Et puisque les connaissances scientifiques actuelles ne permettent pas de penser ou concevoir des machines intelligentes, l’intelligence artificielle n’existe donc pas (encore ?).

Il faut écouter Dr Luc Julia, dans cette video par exemple. Ou lire son livre.


Thomas