IA : grands espoirs
L’intelligence artificielle (IA) a régulièrement suscité de grands espoirs chez ceux qui entrevoient les cas d’application de ces techniques. Parfois elle tient ses promesses. Parfois, les attentes s’effondrent.
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L’idée que des machines puissent devenir intelligentes a toujours été
séduisante, et les démonstrations limitées à de petits périmètres font naître
des espoirs démesurés, qu’une analyse rétrospective révèle souvent
injustifiés. Dans son livre de 1949
Ce schéma reste d’actualité. Il y a quelques années, on nourrissait de grands espoirs quant à la révolution des usines par les robots. D’une certaine manière, elle a bien eu lieu, mais pas d'une ampleur annoncée dans les business plans des start-ups d’il y a six ou huit ans. Les problèmes de programmation, combinés au manque de flexibilité, ont rendu impossible la résolution des problèmes systémiques d’intégration des robots d’assemblage dans l’univers de la production industrielle. Les grandes espérances suscitées par les démonstrations de ces robots ont occulté d’autres aspects cruciaux d’une entreprise opérationnelle complète, à commencer par le capital. Les robots se sont révélés utiles, certes, mais bien moins que prévu initialement.
Nous venons d’entrer dans la phase de désillusion d’un autre cycle d’euphorie : les systèmes experts. Bien qu’ils aient connu quelques succès en milieu industriel, une fois encore, les promesses de leur intégration dans l’industrie n’ont pas tenu sur la durée. Leurs représentations internes trop simplistes les rendent extrêmement fragiles dès que le réel s’écarte du champ étroit de validité de leurs règles de connaissance. Élargir ces représentations s’est révélé extrêmement difficile, et tout à fait exaspérant. Si les systèmes experts sont là pour rester, ils ne sont pas encore prêts à résoudre tous les problèmes du monde.
À chaque désillusion succède une nouvelle mode, et cette année, elle est claire : il s'agit des réseaux de neurones. Le principe est séduisant. Au lieu de tout programmer dans le détail, on laisse un réseau aléatoire de modèles de neurones « apprendre » par essai-erreur ce qui doit être fait. Bien que ces réseaux ne soient que rarement allés au-delà de la simulation informatique, des business plans émergent déjà pour des start-ups prêtes à capitaliser sur la technologie.
Mais le phénomène des réseaux de neurones actuels est plus qu’une nouvelle vague d’espoirs. C’est un retour. La première vague remonte au début des années 60. En 1962, un professeur éminent de Stanford prédisait que la programmation informatique serait obsolète en 1963, les utilisateurs conversant alors en anglais avec des réseaux neuronaux en interface. Depuis, il y a eu quelques améliorations techniques, et les ordinateurs sont bien plus rapides, ce qui élargit le champ d’application et les perspectives de succès des réseaux de neurones. Mais encore une fois, ils ne peuvent pas prétendre résoudre les problèmes du monde. Ceux qui ont vécu la première vague sont aujourd’hui « immunisés » et bien moins enthousiastes que les nouveaux convertis.
J’ai récemment travaillé avec un groupe industriel, à qui je présentais une méthode technique en IA. Au bout d’un moment, le responsable technique, qui n’avait jamais été exposé à l’IA auparavant, s’est exclamé : « Mais ce n’est pas de l’intelligence ! Vous écrivez juste un programme informatique pour résoudre le problème. » Eh bien désolé, mais c’est tout ce qu'on peut faire. Il n’y a pas de magie en IA. Tout ce que nous faisons, c’est attaquer des domaines et des tâches pour lesquels on ne savait auparavant pas écrire de programmes. Au fil des années, nous avons développé des outils et des méthodologies pour y parvenir, et certaines approches IA ont rencontré de vrais succès. Mais il n’existe pas de recette magique universelle.
De temps à autre, une nouvelle avancée en IA surgit, et l’excitation explose, chacun croyant que la clé de l’intelligence a enfin été trouvée. Peut-être qu’un jour ce sera le cas, mais j’en doute. Je ne pense pas qu’il existe une clé unique de l’intelligence ; plutôt, et c’est dommage pour les philosophes et les rêveurs, l’intelligence est une collection vaste et complexe de processus simples. Pour créer des ordinateurs et des robots réellement intelligents, il faudra découvrir ces processus un à un, ce qui provoquera de nouvelles vagues d’espoir, suivies de succès réels mais plus modestes. Cela peut sembler ennuyeux ou peu imaginatif, mais moi, je trouve cela passionnant. L’intelligence est réellement une interaction complexe de nombreux éléments. Au fil des prochaines années et décennies, en perçant ses secrets, nous verrons émerger un flot continu d’idées aux applications concrètes et immédiates. Et lorsque nous comprendrons enfin vraiment l’IA, elle ne ressemblera plus à un simple programme, mais à un merveilleux témoignage du génie créatif de l’évolution.
Publié en mars 1988
J’avais 7 ans.
Je ne suis évidemment pas l’auteur.
Rodney Brooks a écrit cet article. Professeur associé au département de génie électrique et d'informatique, au laboratoire d'intelligence artificielle du Massachusetts Institute of Technology, Cambridge (USA).
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